L'affaire MonPuteaux.com au Forum Légispresse
jeudi 04 octobre 2007
J'étais invité ce matin à m'exprimer au Forum Légipresse, devant une assemblée de 200 avocats et juristes. Cette édition était consacrée aux "amateurs", "création et contenus sur internet". J'ai participé à la première table-ronde sur "Les responsabilités de l'internaute amateur au regard du droit sur la presse". On m'avait demandé d'apporter mon témoignage de blogueur.
Voici le texte de mon intervention :
Téléchargement forum_legipresse.pdf
Ci-dessous, la version texte...
Forum Légipresse, jeudi 4 octobre 2007
« Les responsabilités de l'internaute amateur au regard du droit sur la presse »
« Le témoignage d'un blogueur : Christophe Grébert, de www.monputeaux.com »
Avertissement : mon témoignage n’est pas celui d’un professionnel du droit, mais bien celui d’un « amateur » du web. Entendez-le comme une étude de cas.
PRESENTATION DE MONPUTEAUX.COM
Création de MonPuteaux.com en 2002.
"Sur monputeaux, on ne parle que de Puteaux"
2 objectifs :
- faire circuler l'information locale
- et permettre aux habitants de débattre de cette information
J'ai créé un média qui, de fait, a remis en cause le quasi-monopole que possède un maire dans sa ville pour la diffusion de l'information locale. Monputeaux est une voix alternative au journal municipal "Puteaux infos", qui est un journal de propagande au service de la majorité.
Le maire de Puteaux n'a pas accepté l'existence même de ce média local alternatif, tenu par une personne qui n'avait, à ses yeux, aucune légitimité, sinon celle d'être un citoyen.
PREMIERE PHASE : DES INTIMIDATIONS
Le maire de Puteaux a dans un premier temps cherché à m'empêcher d'accéder aux informations : pendant plus de 2 ans, j'ai été interdit manu militari de conseil municipal.
J'ai fait l'objet d'un véritable harcèlement : coups de téléphone, insultes et menaces.
La mairie m’a aussi envoyé un huissier : il m'a menacé d'un procès pour violation du droit à l'image, parce que j'avais publié sur mon site l'affiche de la fête des sports pour illustrer une note sur l’événement.
DEUXIEME PHASE : PROCES DEVANT LA 17E
Ces pressions et menaces ne parvenant pas à me faire taire, le maire a ensuite décidé de porter plainte contre moi pour diffamation. Il me reprochait d'avoir reproduit sur mon blog un extrait d'un article du Parisien évoquant le licenciement d'une employée municipale et les conditions d'attribution d'un important marché public.
Le procès s'est déroulé en février 2006 devant la 17e chambre correctionnelle de Paris. Jugé en même temps que Le Parisien, j'ai été relaxé, ainsi que le journal. Relaxe confirmée ensuite par la cour d'appel de Paris.
Dans cette affaire, on a assisté à un détournement de la loi sur la presse. Celle-ci est faite pour garantir la liberté d'expression. Mon maire l'a utilisée pour tenter au contraire de me réduire au silence.
- par intimidation : pour un simple citoyen devoir défendre son honneur devant un tribunal correctionnel, c'est une épreuve difficile. Le blogueur, qui est son propre "directeur de publication", est en première ligne. Préparer son dossier, répondre aux convocations, assister aux audiences, tout cela prend du temps.
- par épuisement financier : même innocent, assurer sa défense coûte de l'argent. Constats d'huissier pour l'offre de preuve, huissier encore pour convoquer les témoins, avocat pour faire face à une partie adverse qui utilise contre vous toutes les possibilités de la jurisprudence.
Pour financer ma défense, j'ai fait appel à la solidarité des internautes, lançant un appel aux dons sur mon site. J'ai recueilli 3.500 euros de cette manière.
TROISIEME PHRASE : LA "MORT SOCIALE"
Mais ce procès n'a pas été la seule tentative de mon maire pour faire pression sur moi.
En 2004, j'ai été interpellé en pleine rue par la police municipale de Puteaux. On m'a interpellé un samedi parce que j'avais été vu en train de photographier des roses dans un parc municipal.
Le lundi suivant, le maire, Joëlle Ceccaldi-Raynaud, signe un arrêté interdisant la prise de photos dans les parcs, précisant qu'il s'agissait d'une méthode d'approche des enfants.
Quelques jours plus tard, une lettre écrite par Charles Ceccaldi-Raynaud, maire adjoint et sénateur des Hauts-de-Seine, est publiée sur le site de la mairie. Charles Ceccaldi-Raynaud écrit au préfet des Hauts-de-Seine pour justifier mon interpellation. Il explique que je suis connu des services de police pour avoir l’habitude de photographier les enfants.
Je porte plainte pour diffamation, utilisant à mon tour la loi sur la Presse.
Joëlle Ceccaldi-Raynaud, en tant que maire et donc "directeur de publication" du site municipal, et Charles Ceccaldi-Raynaud, en tant qu'auteur du texte diffamatoire, ont été condamnés l'année dernière par le tribunal correctionnel de Nanterre à 5.000 euros d'amende et 3.000 euros de dommages et intérêts. Condamnation confirmée cette année par la Cour d'appel de Versailles.
CONCLUSION OPTIMISTE
La liberté d'expression est la règle. On doit pouvoir tout dire sur internet, sans être inquiété. La loi sur la Presse existe pour défendre cette liberté fondamentale, mais aussi pour protéger les citoyens contre les excès possibles de cette liberté.
On accuse un peu trop facilement l'internaute de franchir ces limites. On accuse la blogosphère d'être le royaume de la désinformation et de la rumeur.
Pourtant, mon témoignage vous apporte une autre réalité :
- malgré un incroyable acharnement judiciaire, qui a conduit la ville de Puteaux à dépenser contre moi environ 100.000 euros en frais d'huissiers et d'avocats,
- soumis à l'examen attentif de juristes engagés par mon maire pour trouver LA faute qui pourrait me faire chuter,
- puis finalement soumis aux juges - et quels juges, ceux de la 17e et de la cour d'appel de Paris - …
finalement, aucune charge n'a été retenue contre le simple citoyen, blogueur et internaute amateur que je suis.
Dans cette affaire... c'est le site officiel, institutionnel, qui a servi d'outil de diffamation. C'est un maire et un sénateur, censés représenter la rigueur, la modération et l'honnêteté, qui ont franchi la ligne et qui ont été condamnés !
Vous me direz alors que tout est bien dans le meilleur des mondes : la loi sur la Presse fonctionne et l'institution judiciaire a fait son travail.
CONCLUSION PLUS REALISTE
J'ai un autre point de vue.
J'ai été soutenu, on m'a aidé financièrement, j'ai profité d'une exposition médiatique qui m'a sauvée certainement d'autres faits plus graves.
Mais combien de citoyens seraient prêts à affronter le même parcours pour défendre leur droit à bloguer librement ? Combien de milliers d'euros en avocat et huissier êtes-vous prêts à mettre sur la table pour défendre votre liberté de parole ?
Combien de centaines d'internautes français qui -à la première lettre d'avocat un peu menaçante, à la première visite d'un huissier, ou bien à la suite d'un simple coup de fil d'une institution ou d'une société - ont effacé ce qu'ils avaient écrit ou ont purement arrêté leur blog ?
La censure n'existe pas en France... mais il y a plus grave, c'est l'autocensure.
Dans notre démocratie, chaque citoyen devrait pouvoir s'exprimer librement, sans crainte. Ce n'est pas le cas. Ces procédures - celles menées contre moi par le maire de Puteaux - remettent en cause ce droit. Elles sont un danger pour notre République.
Il s'agira demain pour une bonne justice de défendre les citoyens contre ceux qui cherchent à restreindre leur libre parole par des procédures abusives et un détournement de la loi sur la presse.
A quand la sanction du maire de Puteaux pour avoir judiciarisé le débat public local ?
REFERENCES
www.monputeaux.com
www.monputeaux.com/proces/
www.monputeaux.com/proces_2/
www.monputeaux.com/harcelement/
www.monputeaux.com/les_ceccaldi_ont_fait/
Un groupe de blogueurs locaux pour la défense de la liberté d’expression sur le web :
www.webcitoyen.com
(merci à mon avocat, Maître Jean-Marcel Nataf)